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Le Champ Clos Catalan
6 février 2016

ART MARTIAL OU SPORT DE COMBAT ?

A l'heure où certaines personnes se posent encore la question sur la différence entre Art Martial et Sport de Combat ? A l'heure où certaines personnes diabolisent le spectre de la compétition et son intérêt dans l'étude martiale. Voici un petit article de ma plume, paru dans laDragon 13 revue Dragon Magazine de juillet/août 2014 qui essaye (entre autre) de synthétiser simplement ces deux points de vues.

 

 

Art Martial ou Sport de Combat ?

Du 18 au 26 octobre dernier se déroulait à Saint-Pétersbourg la 2° édition des « Sport Accord World Combat Games ». Quel plaisir de découvrir l’Escrime, la Boxe, la Lutte Gréco-Romaine côtoyer d’autres Arts Martiaux et Sports de Combat. Quelle joie de voir enfin l’escrime reconnue comme une discipline martiale à part entière. Alors Sport de combat ou Art Martial ? Si les Arts Martiaux Orientaux affichent actuellement plusieurs centaines de milliers de pratiquants en France, les Arts Martiaux Européens ne sont pas de reste. Qui sont-ils ? Quels sont les différences et les points communs qu’ils cultivent avec les Arts Martiaux Orientaux ?

Avant d’avancer et de plonger dans le monde des Arts Martiaux Européens quels sont les points principaux qui caractérisent les Arts Martiaux en général. Il est évident que nous associons plus facilement le terme « Art Martial » aux disciplines Asiatiques, qu’européennes. « Sport de Combat » rime d’avantage à l’idée que se fait un Français d’une discipline guerrière européenne. Et c’est par cette différence entre les Arts Martiaux et les Sports de Combats que nous entamerons leurs définitions respectives.

Le « Sport de Combat » nous renvoie à la pratique d’une discipline en compétition. En effet, la saison sportive d’un pratiquant se termine à la fin de son calendrier de compétitions. La compétition est un objectif à part entière qui rythme l’entraînement. Selon l’importance que prend l’objectif compétitif (Circuits régionaux, nationaux, championnats régionaux, nationaux internationaux, circuits de coupes du monde, championnats du monde, jeux olympiques), les apprentissages puis ensuite les entraînements s’y adaptent.

Dans les « Arts Martiaux » la compétition ne revêt pas la tenue de finalité mais celle d’outil éducatif. En effet, on cherche à placer l’artiste martial dans une condition différente de celui du club, de la salle, ou du dojo pour qu’il sorte du carcan de l’habitude et de le confronter à différentes situations de stress. De façon à ce que cette expérience l’enrichisse et enrichisse son expérience personnelle. Car s’il y a bien une chose qui caractérise l’objectif d’un art martial c’est l’enrichissement personnel qu’il apporte au pratiquant. Ainsi l’objectif d’un Art Martial ne se borne pas aux frontières d’une année sportive mais à celle d’une vie humaine.

Dans le respect de cette différenciation évidente où la place de la compétition est caution de la définition du sport de combat et de l’art martial, certaines disciplines sportives comme l’escrime dites moderne par exemple partage ces deux conceptions. Par ailleurs, un autre élément est à prendre en considération quand on parle d’Arts Martiaux et de l’escrime, c’est son histoire.

L’histoire de l’escrime s’inscrit sur plusieurs générations de Maître d’Armes. Ce sont eux d’ailleurs qui ont écrits sur les techniques et l’histoire de leur art, et ce jusqu’à ce que l’histoire devienne une science c'est-à-dire fin des années 60, début des années 70. Il faut attendre les années 90 pour que les historiens s’attaquent à l’étude de ces trésors nationaux que sont ces traités martiaux. Ces traités d’origine Allemande, Italienne, Espagnole, Française… ont ponctué l’évolution des Arts Martiaux Européens. Car dès le XVème siècle, certains Maîtres considèrent leur science comme un art et une voie, celle de Mars. Philippo Vadi auteur de l’Arte Gladiatoria Dimicandi combine Escrime, Dague, Combat à mains nues… et pose dès ces premières lignes sa discipline comme un Art, dans tous les sens du terme :

La musica l’adorna e fa sugetto                        « La musique orne et combine (faire sujet ?)

Ch’l canto e’l sono s’enframente in l’arte            le son et le chant par l’art,

Per farlo di scienti piu perfecto.                          et (avec) la science la rend parfaite.”

 

La geometria e musica comparte                       La géométrie et la musique combinent

Le loro virtu scientifiche in la spada                     leurs vertus scientifiques dans l’Epée

Per adornare el gran lume de Marte.                   pour orner la grande lumière de Mars.

(Vadi – L’Art de Combattre du Spadassin – Chapitre 1er – Strophe 8 et 9)

 

Toujours dans ce même traité, le Maître, originaire de Pise, fait régulièrement référence à son Art. Dans le chapitre 3 par exemple le mot « Art » y est présent 9 fois ! (Cf. strophes 3, 30, 31,33, 39, 41, 44, 45, 47)

Les strophes de cette œuvre martiale italienne brillent par leurs intérêts éducatifs. Car elles élèvent l’enseignement du combat comme une activité culturelle et sociale ne le laissant plus en l’état de formation purement militaire. Ces vers glorifient la courtoisie et l’éducation ainsi que le lien sacré du Maître et de l’élève, thème récurant dans la culture Asiatique des Arts Martiaux. Comme dans la période du Japon Shogunal où le Samourai sans maître était un Ronin, Vadi conseille à l’expert de se trouver un mécène, pour gagner sa vie. Avec ce livre, écrit au XV° siècle, rappelons-le, nous sommes en présence d’un Art noble, digne de n’importe quel autre Art Martial dit « Oriental ». Le spirituel et le temporel sont traités côte à côte.

 

Lointains et pourtant si proches

Si les derniers paragraphes confirment les dimensions spirituelles et actuelles des points communs que partagent ces Arts Martiaux que pourtant tout opposait au début, qu’en est-il des similitudes techniques ? En conservant le VADI, référence historique éditée récemment par les éditions Budo, deux axes semblent intéressants à développer. Le premier désigne les coups de bases, le deuxième détaille les techniques de clés. A ce propos, il est intéressant de s’attarder sur l’écrit européen qui privilégie d’avantage les techniques à l’épée que les autres. Cependant on peut aisément comprendre que toutes ces techniques ne vont pas l’une sans l’autre (Cf. Encadré – Le Vadi en chiffre).

Même si l’épée longue Italienne comporte deux tranchants son maniement est très proche du Kenjustu comme vous allez le constater dans les lignes suivantes :

D’abord Shomen Uchi qui est une coupe verticale du milieu-haut du visage vers le bas se superpose au Stramazzare du Maître Pisan – Stramazzare en Italien signifie : S’abattre. Ensuite, nous avons Kesa Giri qui est un mouvement de découpe diagonal vers le bas, selon un angle quelconque, de gauche à droite ou l'inverse. Ce coup en diagonale appelle le Fendente et Riverso Fendente. En continuant nous pouvons décrire Yoko Guruma qui est une coupe horizontale. Yoko signifie « côté ». Cette technique quand on découvre Vadi s’aligne aux Volante. En revanche, une exception de réalisation existe dans cette technique puisque Yoko Guruma de Gauche à Droite s’exécute la main en Pronation alors que le Volante Riverso s’exécute en supination. Pour conclure Tsuki est un coup d’estoc, si cette technique n’est pas prédominante en escrime japonaise, elle l’est chez Vadi. Il l’appelle la Punta (Pointe).

Direction de coupe

Représentation schématique des angles de coupe

 

Attention, il est important de souligner que le cadre d’application du sabre ou de l’épée longue était différent pour l’un et l’autre. Puisqu’à cette période on retrouve respectivement le premier essentiellement en combat contre plusieurs adversaires alors que la deuxième s’exprime majoritairement en duel civil.

Pour parfaire la comparaison entre les connaissances martiales asiatiques et européennes nous nous attacherons dans les lignes suivantes à superposer quelques illustrations de Jujitsu Kano de 1905 et d’astuces à mains nues présentes dans le VADI.

 Points Communs

 

Il est vrai qu’à la vue de cette superposition iconographique la recherche de se défendre, dans tous les pays, en toute situation apparait comme évidente. Les trois premières strophes sur Chapitre IV de l’Art de Combattre du Spadassin peuvent clore ces lignes :

Quest’arte è tanto nobile et gintile,                   Cet Art est si noble et si gentil,

Ella amaestra l’omo nell’andare,                       Il éduque l’homme dans la voie,

Fa l’chio presto, ardito e segnorile.                   Il fait l’oeil vif, hardi et maître.

                                                                                                                                                              

Quest’arte t’amaestra a ben voltare                  Cet art te forme à bien bouger.

A’(e)nsegnare ancora coprire e star forte,         Il enseigne aussi à se protéger et être fort

E taglie e punte insegna el ben parare              La taille et la pointe, il enseigne a bien parer

 

Quanti sonno senza numer morte,                     On ne compte plus ceux qui sont mort,

Ché l’arte non gli è stato a lor gradita,                Parceque l’Art n’eut été à leur goût,

Pero han de vita chiuse le lor porte.                   Et qu’ainsi ont clôt les portes de leur vie.

 

 

Cet Art éduque l’homme dans la Voie

Quest’arte amaestra l’omo nell’andare – Maître Philippo VADI – XV°siècle

L’andare (la voie), à la découverte de cette notion nous ne pouvons nous empêcher de penser, une nouvelle fois, à l’exclusivité désuette que représente le budo japonais. C’est un clin d’oeil intéressant sur la voie martiale. Il confirme que par les quatres coins du monde l’homme n’a pas attendu un messie sauveur pour lui apprendre à se défendre ou à s’élever spirituellement. En effet une théorie tenace mélée à la légende a été entretenue pendant une bonne vingtaine d’années dans les Arts Martiaux orientaux comme quoi le moine Bodhidharma aurait essaimé son art du combat et sa pensée dans plusieurs pays Asiatiques dont la chine et l’île d’Okinawa... Actuellement, en Europe, une vague de chercheurs cultivent la même erreur en ce qui concerne le Maître Liechtenauer.

L’Arte Gladiatoria Dimicandi n’est pas un cas isolé dans la littérature martiale Européenne. Des traités antérieurs atteste de la volonté de certains combattants et Maître à fixer leur savoir et/ou leur expérience sur le papier. Les siècles qui suivront verront la multiplication d’ouvrages et d’interprétations de l’Art de Mars par de nombreux Maîtres Européens.

Si l’on suit l’enseignement du Pisan, son livre d’auto-défense devient un guide d’éducation physique générale réservé à l’élite. Nous sommes vraiment très éloigné des clichés d’une escrime ancienne européenne dépourvue de finesse et d’éducation. En outre les mots limpides de clarté de cet ouvrage conseillent de rester attaché à l’étude complète de l’Art sous peine d’avoir une vie écourtée. Le VADI, et ce n’est pas le seul, peut s’afficher grâce à sa spiritualité indéniable dans une bibliothèque aux côtés de livres asiatiques tels que le Gorin No Sho de Miyamoto Musashi, l’Art de la Guerre de Sun Tsu, le Hagakure de Tsunemoto Yamamoto... tous ces trésors s’avèrant être de véritables et incontournables guides philosophiques pour notre quotidien.

En somme, les Arts Martiaux Européens n’ont rien à envier à leurs homologues “Orientaux” tant sur le plan technique, que sur le plan spirituel. Cependant, préservant le thème Europe/Orient d’autres sujets s’ouvrent à nous comme la comparaison chronologique détaillée par exemple. Ensuite, l’intérêt de ces traités historiques attirent de plus en plus de curieux et sucitent déja des débats passionnés entre spécialistes, professionnels martiaux et historiens. Les discussions sont levées, les pratiquants sont en armes et les fournisseurs commerciaux le sont aussi en proposant des lignes de protections adéquates à l’étude de tous ces traités. Alors mesdemoiselles, messieurs... En garde !

 

Olivier PATROUIX-GRACIA

Maître d’Armes

Membre Titulaire de l’Académie d’Armes de France

Membre de la Commission Nationale FFE d'Escrime Artistique, de Spectacle et de Combat Historique


 

Le VADI en chiffre :

Stat 2Stat 3

 

Sans titre

 

 

Bibliographie :

Agakure - Tsunemoto Yamamoto – Ed. Budo
Arts Martiaux / Sports de Combat – Y. Kerlirzin & G. Fouquet – Cahier de l’INSEP – 1996
Gorin No Sho – Miyamoto Musashi – Ed. Budo
Karaté Bushido - #1312 – Décembre 2013.
Kenjutsu / Héritage spirituel de Tenshin Shoden Katori Shinto Ryu – Maître Rizuke Otake – Ed. Budo - 2001
L’Art de la Guerre – Sun Tsu – Ed. Budo
Le Jujitsu Kano – Higashi & Hancock – Ed. Budo - 2002
Shogun – Le pouvoir de la Guerre – Dominique Martel –Editions Pardes - 1991
VADI ou L’Art de Combattre du Spadassin – Maître Olivier Patrouix-Gracia– Ed. Budo - 2013

 

 

JE REMERCIE, TOUT PARTICULIEREMENT, PIERRE-YVES BENOLIEL POUR L'AUTORISATION DE REPRODUIRE L'INTEGRALITE DE L'ARTICLE SUR CE BLOG.

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